La pleine responsabilité des services préfectoraux dans le dysfonctionnement des procédures dématérialisées en matière d’accueil des étrangers
Par une décision du 27 février 2020, le Juge des référés du Tribunal administratif de Melun a enjoint le préfet du Val-de-Marne à convoquer directement un ressortissant étranger, afin qu’il puisse déposer une demande de régularisation, pour pallier l’impossibilité systémique que ce dernier rencontrait pour prendre un rendez-vous sur le site internet de la préfecture.
Dans cette affaire, un ressortissant de la République démocratique du Congo a tenté à plusieurs reprises d’obtenir un rendez-vous à la préfecture du Val-de-Marne via le site internet dédié afin de déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour. Après des mois et des dizaines de vaines tentatives, il a déposé une requête devant le juge des référés afin que lui soit délivrée une convocation en préfecture.
Pour fonder sa demande, le requérant fait état de l’insécurité juridique dans laquelle il est maintenu du fait de l’impossibilité de déposer son dossier en préfecture, ainsi que des carences systématisées des procédures de dématérialisation de l’administration qui portent atteinte à l’accueil des étrangers.
De son côté, la préfecture estimait que le requérant n’avait pas été suffisamment diligent, n’alertant pas l’administration du dysfonctionnement du site internet. Elle lui reproche notamment de ne pas avoir envoyé de courrier postal ou numérique, ou de ne pas s’être déplacé physiquement auprès des services de pré-accueil.
Après avoir relevé la ténacité dont le requérant avait fait preuve en vue d’obtenir un rendez-vous via la procédure indiquée, le juge des référés pointe les défaillances et incohérences de l’administration.
Le juge relève tout d’abord qu’en raison des difficultés récurrentes rencontrées par les usagers dans la prise de rendez-vous en ligne, la préfecture ne peut pas ne pas être informée des carences de son site internet. Le juge va même plus loin en imputant ces carences à la préfecture elle-même, qui génère « de manière volontaire une pénurie de possibilités de rendez-vous » en n’ouvrant qu’avec parcimonie des plages horaires disponibles pour des prises de rendez-vous.
Par ailleurs, le juge considère qu’il ne peut être reproché au requérant de ne pas avoir effectué de démarches auprès du service des étrangers afin d’obtenir un rendez-vous. Il relève en effet que la préfecture ne donne généralement pas suite à ce genre de demande, et prend ainsi une décision implicite de rejet qui, en l’espèce, ferait obstacle à l’introduction d’un référé conservatoire.
Non sans ironie, le juge soulève enfin l’incohérence de la part de la préfecture de mettre en place une procédure dématérialisée devant simplifier les correspondances et limiter les déplacements en préfecture, puis d’exiger de la part des usagers de dédoubler leurs démarches en envoyant des courriers ou en se déplaçant en préfecture.
Par ces constats, le juge fait ressortir le rôle prépondérant, et vraisemblablement intentionnel, de l’administration dans les carences du système de prise de rendez-vous en préfecture pour déposer des demandes de régularisation.
Concluant ainsi que l’impossibilité de prendre un rendez-vous était indépendante de la volonté du requérant et lui portait nécessairement préjudice en l’empêchant de régulariser sa situation, le juge des référés enjoint le préfet du Val-de-Marne à convoquer le requérant pour lui permettre de déposer sa demande de régularisation.
Dans le contexte actuel, cette décision est la bienvenue.
De nombreuses associations en faveur des droits de personnes migrantes dénoncent des procédures administratives toujours plus longues et complexes visant à décourager les ressortissants étrangers. Le recours à des procédures dématérialisées, pour lesquelles les systèmes sont bien souvent défaillants, est alors perçu comme un moyen de limiter l’afflux de demande de séjour tout en invisibilisant les files d’attente devant les préfectures.
L’allongement et la difficile lisibilité des procédures qui en découlent portent nécessairement atteinte aux ressortissants souhaitant régulariser leurs séjours. Plongés dans l’insécurité juridique, ils sont par ailleurs maintenus dans la précarité et la vulnérabilité, rencontrant des difficultés dans leurs accès au logement, au travail ou à leurs droits.
Par cette décision, le juge des référés vient responsabiliser l’administration sur l’organisation de l’accueil des étrangers et sanctionner des pratiques préfectorales douteuses, et encore très répandues.
A cet égard, il est intéressant de faire un parallèle avec les recommandations du Défenseur des droits dans sa décision n° 2019-266 du 13 novembre 2019.
Interrogé sur les difficultés d'accès au service public résultant notamment d'une dématérialisation des prises de rendez-vous en matière de naturalisation, le Défenseur des droits considère que de tels dysfonctionnement portent atteinte aux principes de continuité du service public et d'égalité des usagers devant le service public.
Par ailleurs, dans la mesure où ces dysfonctionnements conduisent souvent à un allongement déraisonnable des durées d’instruction des demandes en préfecture ayant des conséquences sur la situation personnelle des demandeurs, le Défenseur des droits laisse supposer que ces délais « sont susceptibles de caractériser une atteinte au droit au procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Conv. EDH et au droit à la vie privée des usagers protégé par l'article 8 de la Conv. EDH ».
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